« Je ne pensais pas devenir l'homme que je suis aujourd'hui. Je ne suis pas le meilleure mais je ne pense pas être un moins que rien. Tout cela, je le dois à ma grand-mère. Celle qui a veillé nuit et jour lorsque j'étais malade, celle qui m'a donné mon éducation, celle qui a été pour moi un père et une mère. Si je me suis retrouvé à vivre avec elle, c'est parce que mes parents m'ont eu beaucoup trop jeunes. Insouciants, ils ne voulaient pas s'encombrer d'un bébé. Déjà qu'ils savaient à peine ce qu'ils voulaient faire de leur vie... Enfin. Et comme pour se débarrasser de moi, ils ont voulu m'envoyer en adoption. Ma grand-mère ne l'a pas accepté. Elle m'a accueilli et m'a donné tout son amour. Inutile de vous dire qu'elle représentait tout ce que j'avais de plus cher. Malheureusement la maladie a eu raison d'elle. Difficile à croire pour une femme si forte, si battante. Ma grand-mère... Repose en paix ! » Eros releva la tête vers l'assemblée et la balaya d'un regard empli de tristesse. Il aurait voulu se faire dur mais impossible. Une larme coula. A peine eut-il quitté le micro, que l'on fit descendre le cercueil dans l'espace qui lui était réservé. C'est sans un regard pour ses géniteurs qu'il regagna sa place. La scène qui se déroulait sous ses yeux était d'une atroce douleur. Cette femme, d'un naturel joyeux, bonne vivante à jamais réduite à vivre entre quatre planche de bois. Si ça n'avait tenu qu'à lui, il aurait fait les choses autrement.

Le regard vide, il ne faisait pas attention à l'agitation qui se déroulait autour de lui, ou du moins pas entièrement. Il remarqua tout de même sa présence. D'ailleurs, il croisa simplement son regard qu'elle comprit. Sans hésiter, elle s'avança vers lui pour se placer à ses côtés sans prononcer un mot. Elle ne le regardait même pas, son regard pris par ce qui se déroulait devant elle. Elle déposa simplement sa main dans la sienne et la serra. La jeune homme fit de même. De qui il s'agissait? De Léo, sa meilleure amie. Leur amitié débuta alors qu'ils savaient à peine écrire leur prénom et leur nom. Elle était dans la cour et se faisait embêter par quelques garçons. Il se rappelait que ce jour là, elle avait été coiffée de deux petites nattes rendant son visage incroyablement irrésistible. Il ne pouvait pas les laisser faire. Aussi, il s'avança vers le groupe et leur fit savoir qu'il ne devait pas la déranger. Depuis, ils ne se sont plus quittés. Rares étaient les jours lorsqu'on pouvait les voir l'un sans l'autre. Toujours fourrés ensemble, ils avaient appris à parler avec des gestes. La parole était devenue futile. Un simple regard suffisait. Elle était devenue sa Léo ou plutôt sa Faye car il préférait l'appeler par son prénom féminin.

De sa main libre, il vint essuyer ses yeux qui s'étaient légèrement humidifiés, la blessure beaucoup trop intense. Sa grand-mère allait terriblement lui manquer. Pourtant il l'avait menacée, il lui avait dit qu'elle n'avait pas le droit de partir sans qu'elle ne le voit fonder une famille. Malheureusement rien ne se passe comme on le voudrait. Les yeux plus secs, il reporta son attention sur la foule. Il aurait mieux fait de les fermer car comme un peu avant pour Faye, son regard se déposa sur une autre femme. Il sentit son coeur se serrer dans sa poitrine. Eléanore, cette petite française dont il était éperdument amoureux. A ce moment là, il aurait voulu tout arrêter et se diriger vers elle pour la prendre dans ses bras, chose qu'il aimait par dessus faire. Embrasser son front comme il le faisait si bien. Malheureusement il ne fit rien, il resta stoïque. Difficile. Et lorsque la jeune française releva la tête et le vit en compagnie de sa meilleure amie, son visage se décomposa encore plus. En une fraction de seconde, des paroles lui vinrent alors en tête. « Eros, je n'en peux plus d'elle. J'ai l'impression de vivre dans son ombre. Je croyais qu'avec le temps tout cela s'estomperait. Je croyais que notre amour serait plus fort mais j'ai apparemment eu tort. Faye n'est pas simplement ta meilleure amie. Il y a autre chose, j'en suis persuadée. » « Tu dis n'importe quoi Eléanore. Il n'y a que toi qui compte! Quand est ce que tu le comprendras? Quand je ne suis pas avec toi, je deviens complètement fou.» « C'est donc pour cela que tu recherches sa présence plutôt que la mienne ? Tu sais que je ne suis pas d'un naturel jaloux, mais là, c'est beaucoup trop. C'est game over Eros.» Le jeune homme se souvient qu'à ce moment là, il avait été incapable de faire le moindre mouvement, de dire la moindre parole. Il le regrettait amèrement. Il aurait dû la retenir, il aurait dû lui dire qu'il l'aimait plus que tout. Son absence l'avait rendu plus faible. C'était comme s'il n'était plus entièrement lui même. Mais même s'il regrettait de ne rien avoir fait, il avait aussi compris pourquoi il avait agi ainsi. Il s'était rendu compte qu'Eléanore ne disait pas que des sottises, qu'une part de ses paroles comportait une certaine vérité.

A présent il se sentait comme écartelé. Il avait beaucoup de mal à gérer cette situation car partagé entre le coeur et la raison. Par respect pour Eléanore, il lâcha la main de sa meilleure amie et s'éloigna d'elle de quelques millimètres seulement. Il ne fit rien de plus car après tout il s'agissait de l'enterrement de sa grand mère et non de ses conflits amoureux. Ces derniers sauront attendre d'être résolus. Eros inspira un large instant ce qui eut pour effet de l'apaiser un temps soit peu. Quand l'enterrement fut terminé, Eros n'attendit pas plus longtemps. Même s'il savait qu'il reviendrait sur la tombe de sa grand-mère pour y déposer des fleurs, à cet instant il n'avait qu'une envie: celle de la fuir. Alors, il n'attendit pas plus longtemps et s'exila sans rien dire à personne. Non personne. Il prit la direction d'un bar où il but quelques verres pour oublier et effacer ses souffrances. Maintenant que sa grand-mère n'était plus de ce monde, il se demandait où est ce qu'il allait chercher des conseils, à qui il pourra réellement se confier. Etrangement, même s'il comptait sur des amis et même une meilleure amie, Eros se sentait bien seul. C'est pourquoi, au lieu de finir la soirée chez lui à se morfondre, il fit en sorte de la passer auprès d'une jeune inconnue.